Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale

Faits

Monsieur et Madame Barnea, tous deux ressortissants roumains, arrivent en Italie en 2007 et s’installent avec leurs trois enfants dans les conditions précaires d’un campement rom. Madame Barnea y fait connaissance d’E.M., présidente d’une coopérative active dans le campement, qui lui offre de l’aide et avec qui elle laisse ses enfants passer du temps. Suite à la naissance de C., son quatrième enfant, en février 2007, Madame Barnea sollicite les services sociaux afin que ceux-ci l’aident à obtenir une aide financière, mais celle-ci lui est refusée.

En juin 2009, suite à l’arrestation d’E.M. pour escroquerie, alors qu’elle est en présence de C., cette dernière est placée en institution. Reprochant à ses parents de ne pas être capables d’assumer leur rôle parental ni de suivre le développement de sa personnalité et de l’avoir confiée à une tierce personne, voire de la lui avoir donnée ou vendue, le tribunal déclare C. adoptable et la place en famille d’accueil en attendant l’adoption.

Cependant, la cour d’appel décide en octobre 2012 de maintenir provisoirement le placement de C. dans sa famille d’accueil mais ordonne également un retour progressif de l’enfant dans sa famille d’origine dans un délai de six mois. Elle justifie cette mesure en disant que le fait que Monsieur et Madame Barnea ont confié leur enfant à E.M. ne signifie pas qu’ils aient abdiqué leur rôle de parents. Il ne ressort pas du dossier qu’ils aient été incapables de s’occuper de l’enfant ou que celle-ci ait subi des violences. Au contraire, C. est très attachée à eux et ils n’ont pas cessé d’essayer de maintenir le contact avec elle. La cour d’appel estime que les services sociaux n’ont pas donné l’occasion à Monsieur et Madame Barnea de prouver leurs capacités parentales et ne les ont pas aidés à surmonter leurs difficultés. Elle estime qu’il existe un lien fort entre les parents et l’enfant et qu’il est préférable que celle-ci revienne dans sa famille d’origine.

Les services sociaux ne respectent toutefois pas ces prescriptions et le dossier revient devant le tribunal, qui décide en novembre 2014 de proroger le placement de l’enfant en famille d’accueil et ordonne d’ouvrir une nouvelle procédure de déchéance d’autorité parentale. En janvier 2015, la cour d’appel annule ce jugement mais décide néanmoins de maintenir l’enfant dans sa famille d’accueil en raison de la bonne intégration de l’enfant et du temps écoulé (6 ans).

Finalement, après diverses décisions et malgré les réticences du parquet, en août 2016, le tribunal ordonne le retour de l’enfant auprès de sa famille d’origine. Ce retour a lieu en septembre 2016, il est très difficile pour l’enfant.

Monsieur et Madame Barnea, ainsi que leurs enfants, portent l’affaire devant la Cour en invoquant une violation de l’article 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale). Ils estiment que leur droit au respect de leur vie familiale a été violé en raison de l’éloignement et de la prise en charge de C. en 2009 par les autorités italiennes. Ils reprochent également aux autorités de ne pas avoir mis en place rapidement des mesures afin de réunir la famille. Ils indiquent à cet égard que les services sociaux n’ont pas exécuté l’arrêt de la cour d’appel de 2012 et que le tribunal a confirmé le placement de C. en famille d’accueil et réduit le nombre de rencontres entre C. et sa famille d’origine.

Décision

La Cour conclut à une violation de l’article 8 CEDH et condamne l’Etat italien à payer 40.000 euros à titre de dommage moral à la famille Barnea.

Motivation

Après avoir rappelé les principes généraux régissant le droit au respect de la vie familiale, la Cour examine si les autorités italiennes ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant puisse mener une vie familiale normale au sein de sa propre famille entre juin 2009 et novembre 2016.

Concernant les mesures de placement de l’enfant, la Cour est d’avis qu’avant de placer C. et d’ouvrir une procédure d’adoptabilité, les autorités auraient dû prendre des mesures concrètes pour permettre à l’enfant de vivre avec ses parents. Elle rappelle que le rôle des autorités de protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficulté, de les guider dans leurs démarches et de les conseiller, entre autres, quant aux différents types d’allocations sociales disponibles, aux possibilités d’obtenir un logement social ou aux autres moyens de surmonter leurs difficultés. Dans le cas des personnes vulnérables, les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière et doivent leur assurer une protection accrue. Selon la Cour, les motifs retenus par le tribunal pour refuser le retour de l’enfant chez ses parents ne constituent pas des circonstances tout à fait exceptionnelles susceptibles de justifier une rupture du lien familial. En effet, à aucun moment de la procédure n’ont été évoqués une situation de maltraitance, d’abus sexuels ou de carences affectives, un état de santé inquiétant, ou encore un déséquilibre psychique des parents. Au contraire, les liens entre les parents et l’enfant étaient particulièrement forts.

Deuxièmement, la Cour condamne les autorités italiennes en raison de la non-exécution de la décision rendue par la cour d’appel en octobre 2012, qui ordonnait le rapprochement entre l’enfant et sa famille d’origine, ainsi que pour les motifs invoqués par les autorités pour justifier cette non-exécution. La Cour regrette qu’aucun projet de rapprochement n’ait été mis en place dans le délai de six mois indiqué et qu’après cela, le tribunal ait prorogé le placement dans la famille d’accueil et réduit le nombre de rencontres de l’enfant avec les siens à quatre par an, en se fondant sur le comportement et les conditions matérielles de vie de la famille d’origine et sur les liens profonds que l’enfant aurait tissés avec la famille d’accueil. Or, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie aux soins de ses parents biologiques. Elle rappelle que dans ce dossier, les capacités éducatives et affectives de Monsieur et Madame Barnea n’avaient pas été mises en causes et avaient été reconnues par la cour d’appel.

Enfin, la Cour revient sur l’argumentation tenue par la cour d’appel dans sa décision de 2015, qui justifiait le maintien de la mesure de placement de l’enfant en raison de l’écoulement du temps de six ans en famille d’accueil. Or, un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps. La Cour rappelle en effet que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Elle conçoit cependant qu’en raison de l’écoulement du temps et de l’intégration de l’enfant dans la famille d’accueil, les juridictions nationales aient pu refuser le retour d’un enfant. Toutefois, dans cette affaire, la Cour estime que le temps écoulé est une conséquence de l’inertie des services sociaux dans la mise en place du projet de rapprochement et que les motifs avancés par le tribunal pour proroger le placement provisoire de l’enfant ont contribué de façon décisive à empêcher la réunion de l’enfant et de sa famille d’origine, qui aurait dû avoir lieu en 2012.

Signification dans un contexte plus général

Cet arrêt est à considérer comme une confirmation d’une jurisprudence très nourrie, de l’arrêt Olsson c. Suède du 24 mars 1988 à l’arrêt Soares de Melo c. Portugal du 16 février 2016, qui considère qu’il est crucial de considérer le droit fondamental de parents biologiques à vivre une vie familiale avec leurs enfants dans l’optique de l’intérêt supérieur de ces derniers.

Il est également une confirmation de la jurisprudence constante de la Cour depuis son arrêt Wallová et Walla c. République tchèque, qui établit que le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie aux soins de ses parents biologiques. Dans cet arrêt, la Cour va même encore plus loin en évoquant l’obligation positive pour les autorités de renforcer le lien existant entre l’enfant et ses parents.

De manière plus générale, cet arrêt rappelle les principes généraux que la Cour applique en matière de protection de la vie de famille :


Texte intégral de la décision


Références 

Cour eur. D.H. 25 février 1992, n° 226-A, Margareta et Roger Andersson c. Suède ; Cour eur. D.H. 13 juillet 2000, n° 39221/98 et 41963/98, Scozzari et Giunta c. Italie ; Cour eur. D.H. 19 septembre 2000, n° 40031/98, Gnahoré c. France ; Cour eur. D.H. 12 juillet 2001, n° 25702/94, K. et T. c. Finlande ; Cour eur. D.H. 10 juillet 2002, n° 46544/99, Kutzner c. Allemagne ; Cour eur. D.H. 8 juillet 2003, n° 30943/96, Sahin c. Allemagne ; Cour eur. D.H. 1er juillet 2004, n° 64796/01, Couillard Maugery c. France ; Cour eur. D.H. 26 octobre 2006, n° 23848/04, Wallová et Walla c. République tchèque ; Cour eur. D.H. 6 décembre 2007, n° 39388/05, Maumousseau et Washington c. France ; Cour eur. D.H. 6 juillet 2010, n° 41615, Neulinger et Shuruk c. Suisse ; Cour eur. D.H. 10 avril 2012, n° 59819/08, K.A.B. c. Espagne ; Cour eur. D.H. 10 avril 2012, n° 19554/09, Pontes c. Portugal ; Cour eur. D.H. 21 janvier 2014, n° 33773/11, Zhou c. Italie ; Cour eur. D.H. 16 septembre 2014, n° 2210/12, P.F. c. Pologne ; Cour eur. D.H. 16 février 2016, n° 72850/14, Soares de Melo c. Portugal.

J.-M. VISEE, « CEDH : Placement en famille d’accueil : sa prolongation ne peut pas se justifier par le simple écoulement du temps », in Blog ATD Quart Monde, 29 juin 2017.

Mots clés 

Art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) ; Placement d’enfants ; Droit de visite ; Intérêt supérieur de l’enfant ; Ecoulement du temps ; Inaction des autorités ; Adoption ; Lien parent-enfant