Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale

Résumé le 6 septembre 2022

Faits

Le 1er juillet 2013, un bail de résidence est signé. Les locataires, mécontents de l’inaction des bailleurs face aux réparations à faire dans le logement, arrêtent de payer le loyer. Les bailleurs poursuivent les locataires en justice. Les locataires répondent que le loyer de 650 euros est abusif. De plus, les locataires sont dérangés par des troubles de jouissance. En effet, il n’y a pas de convecteur à gaz dans le logement et des traces d’anciens dégâts des eaux sont visibles.

Le service CAFA (une asbl subventionnée par la Région de Bruxelles-Capitale pour mener une action préventive et traiter toutes les questions relatives au logement sur la Commune de Saint-Gilles) a invité les bailleurs à effectuer une série de travaux le 20 novembre 2015 et établi par rapport du 23 novembre 2015 que le logement n’est pas conforme aux normes obligatoires du Code bruxellois du logement.1 Le 12 décembre 2016, le Service Communal Sécurité-Hygiène et Environnement demande aux bailleurs de s’occuper des dégâts des eaux vu qu’une partie du plafond de la salle de bain s’est effondrée suite à un sinistre au 2ème étage. Suite à l’inaction des bailleurs, l’employé communal dépose plainte à la Direction de l’Inspection Régionale du Logement (DIRL) le 25 juillet 2017. Le 7 novembre 2017, la DIRL met les bailleurs en demeure car certaines exigences de sécurité ne sont pas remplies. Le 9 mai 2018, le CAFA invite à nouveau les bailleurs à se conformer au Code bruxellois du Logement.

Entretemps, les bailleurs adressent un préavis aux locataires leur demandant de quitter les lieux dans les six mois « pour cause de travaux de rénovation et de mise en conformité ». Les locataires estiment que ce préavis n’est pas conforme à la législation.

A l’audience du 22 mai 2018, les locataires ont trouvé un autre logement, mais ils réclament notamment le remboursement de loyers trop perçus et une indemnité forfaitaire pour préavis non-conforme au Code bruxellois du logement. Les locataires expliquent qu’ils ont utilisé la grille indicative de référence des loyers pour estimer le juste loyer, qui doit selon eux être évalué à 490 ou 500 euros. Les locataires justifient leur non-paiement par le fait que les bailleurs ne remplissent pas leur part du contrat en ne garantissant pas un logement en bon état.

 

Décision

Le tribunal condamne le bailleur au paiement de :

 

Motivation

La grille indicative de référence des loyers :

Le tribunal accorde que le loyer est excessif sur base de la grille indicative de référence des loyers.³

Il faut déduire des travaux préparatoires4 que l’intention du législateur est que la grille de référence des loyers ait une portée informative envers bailleurs, preneurs, juges de paix et autres acteurs du secteur, pour des baux déjà contractés et futurs et de donner aux juges de paix un outil pour décider d’un éventuel excès et de leur laisser une marge d’appréciation. Les locataires et bailleurs disposent ainsi d’un outil pour objectiver le montant du loyer, compte tenu des caractéristiques du logement. Le législateur a également voulu permettre aux locataires qui ont déjà contracté un bail de vérifier par eux-mêmes s’ils paient un prix honnête pour leur logement.

Les locataires ont évalués le calcul du loyer sur base de la grille indicative en tenant compte des critères de majoration et de minoration.5 Ils arrivent ainsi à un montant de 490 euros par mois. Ils proposent de ramener le loyer réclamé au montant de 500 euros par mois. Ce loyer est plus raisonnable et proportionné par rapport aux caractéristiques du bien. De plus, les locataires ne pouvaient prendre connaissance de la grille lors de la conclusion du contrat. Le tribunal considère donc qu’il faut appliquer ce loyer de 500 euros par mois depuis le début du bail le 1er juillet 2013 jusqu’au 30 juin 2018.

Les troubles de jouissance :

Les locataires invoquent l’exception d’inexécution, qui est un principe général de droit et qui permet à l’une des parties d’un contrat de ne pas exécuter son obligation tant que l’autre partie n’exécute pas la sienne.6 En effet, les bailleurs ont reçu un rappel le 20 novembre 2015 de remédier à une série de manquements, mais n’ont pas rempli leurs obligations. Le Code bruxellois du Logement et l’arrêté du 23 novembre 20177 disposent que les gros entretiens doivent être réalisés par le bailleur. De plus, le Code bruxellois du Logement rappelle que tout bien mis en location doit respecter des normes élémentaires de qualité. Les manquements relevés n’ont pu être causés par la manière dont a été occupé le bien. Le bien ne correspondait pas aux normes dès sa mise en location. Vu l’état du bien, les locataires pouvaient invoquer l’exception d’inexécution, les bailleurs étant informés des problèmes, le tribunal accepte la demande des locataires et diminue de 100 euros par mois le loyer pour la période des troubles, du 1er décembre 2016 au 8 juin 2018.

Le préavis donné par les bailleurs :

La législation prévoit que le bailleur a la possibilité de mettre fin au bail quand il a l’intention de faire des travaux importants et s’il respecte plusieurs conditions.8 Il doit respecter les délais légaux pour le notifier au locataire. Il doit aussi fournir des explications quant aux travaux envisagés et communiquer au locataire les documents justifiant le réalisation des travaux.

Le préavis donné par les bailleurs ne remplit pas toutes les conditions. En effet, il n’a pas été notifié à la fin d’une période de trois ans. Ensuite, les bailleurs n’ont jamais donné la moindre description des travaux envisagés, ni de leur coût, même pendant la procédure judiciaire devant le tribunal.

A l’audience, les bailleurs prétendent que le préavis a aussi été donné en raison du non-respect des accords et des arriérés des loyers. Le tribunal n’accepte pas cette explication étant donné que le courrier du préavis ne mentionne que le seul motif des travaux.

Par conséquent, le tribunal déclare que le préavis ne respecte pas les conditions prévues par la loi. Comme les locataires ont quitté le bien à la suite du préavis illégal qui leur a été adressé, ils réclament la condamnation des bailleurs à leur payer l’indemnité équivalente  à 18 mois de loyers (9.000 euros), comme prévue dans la loi.

 

Signification dans un contexte plus général

Cette décision est une belle avancée pour le droit au logement. Elle démontre que des instruments simplement indicatifs comme la grille indicative de référence des loyers peuvent quand même avoir un effet modérateur sur le prix des loyers dans le marché locatif privé.

Le collectif « Solidarité contre les Loyers Abusifs », qui a assisté les locataires dans leurs démarches et qui dénonce plus généralement les discriminations pratiquées dans le milieu du logement, applaudit cette décision qui « marque le début d’une saga judiciaire ». Le collectif encourage les locataires à défendre leurs droits en justice pour créer de la nouvelle jurisprudence. Ces locataires seront soutenus financièrement par une caisse de grève et de solidarité.9

Tout comme de nombreux acteurs actifs dans le droit au logement, le Service de lutte contre la pauvreté recommande depuis longtemps de mettre en place un encadrement des loyers du marché locatif privé, sur la base de la qualité des habitations et du contrôle de celle-ci, en combinaison avec des instruments sur le plan de la garantie locative.10

N’ayant pas fait l’objet d’une procédure en appel, cette décision est devenue définitive.

 

Texte intégral de la décision

 

Références

1 Les articles 171.9 du Code civil et 3 du Code bruxellois du Logement sont les articles sur lesquelles se basent les locataires pour obtenir la réduction du loyer de 150€/mois.

2 Article 237 du Code bruxellois du Logement.

³ Arrêté du 19 octobre 2017, publié au Moniteur Belge le 6 novembre 2017, modifié le 29 novembre 2017.

4 Compte rendu intégral des interpellations et des questions, Commission du Logement, réunion du jeudi 15 décembre 2016, C.R.I. COM (2016-2017) n°35.

5 Les critères de majoration et de minoration sont établis à l’article 225 du Code bruxellois du Logement et dans son arrêté d’exécution du gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale du 10 novembre 2017 instaurant une grille indicative en référence des loyers, publiée le 29 novembre 2017 au Moniteur Belge.

6 Cassation (1ère chambre), 6 mars 1986, R.C.J.B., 1990, p. 559 et Cassation, 24 septembre 2009, C.080346.N/1.

7 L’article 223 du Code bruxellois du Logement et l’arrêté du 10 novembre 2017 du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, entré en vigueur le 1er janvier 2018.

8 Article 3, §3 de la loi du 20 février 1991 sur les baux relatifs à la résidence principale du preneur et actuel article 237, §3 du Code bruxellois du Logement.

9 Charlotte Renouprez, les Equipes Populaires, « La justice de paix ramène un loyer abusif à un montant plus raisonnable ! », Bruxelles.

10 Service de Lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, « Citoyenneté et pauvreté, contribution au débat et à l’action politiques », Bruxelles, Rapport bisannuel 2016-2017, p. 92 à 96.


Mots clés

Bail de résidence principale; Loyer abusif; Grille indicative des loyers de référence; Code bruxellois du Logement; Exception d’inexécution; Location; Trouble de jouissance